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15 octobre 2010 5 15 /10 /octobre /2010 07:43

 

 

En ces temps explosifs de contestation sociale - fort justifiée - les propos qui vont suivre vous paraîtront sans doute décalés. Bien entendu, tout n'est qu'apparence...


Chene.jpgRandonneur, j'arpente régulièrement plaines, bois et forêts. Alors, comment ne pas constater de nombreuses mutations du paysage boisé ? Bien que non spécialiste de la question, nos quelques restes de bon sens paysan nous préviennent de bizarreries, liées sans aucun doute possible à l'exploitation intensive des massifs. Il y a peu, j'ai buté sur une drôle de pierre. Un ami, fréquentant beaucoup plus assidûment que moi cette partie du territoire, m'a communiqué une intervention de Pascal Leclercq, représentant C.G.T. de l'Office Nationale des Forêts, faite lors d'une rencontre, le 7 juin 2010, avec son ministre de tutelle : Hervé Gaymard.

Le constat reste affligeant car il révèle la toute puissance des forces du marché. Puissance qui nous rappelle que nous vivons bien englué dans un triste système économique. Cette intervention vaut son pesant de cacahuètes. En raison de la lucidité de ses propos et en guise de remerciements, son auteur  mérite quelques stères d'un bon bois bien de chez nous !..

 

"Quand on parle de « mieux protéger » en forêt, il conviendrait au préalable de préciser l’objet à protéger. Car le milieu forestier peut être perçu de deux manières différentes par le gestionnaire comme par l’usager :

  • - soit comme une unité de production de matière première bois qui sert également d’habitat, donc qui sera gérée en assurant simplement la pérennité du couvert (c’est la « forêt-usine »),

  • - soit comme un écosystème avec sa biocénose et sa phytocénose particulières, dans lequel on s’efforcera de prélever du bois sans nuire à son équilibre, donc à sa pérennité (c’est la « forêt-écosystème »).

Si, dans les deux cas, la fonction de production est bien présente, l’approche est toutefois complètement différente. Et il va sans dire qu’une gestion véritablement multifonctionnelle doit obligatoirement s’inscrire dans la deuxième approche, soit la « forêt-écosystème », pour être qualifiée de « durable ». Mais est-ce véritablement ce qui prévaut à l’ONF comme au niveau des pouvoirs publics ?

Certes, il est indéniable que depuis sa création, l’ONF a évolué dans sa perception du milieu forestier, la vision « forêt-écosystème » prenant de plus en plus d’importance, sans jamais toutefois s’imposer complètement, même encore de nos jours. Il faut dire que la pression du grand public, comme des associations intéressées à la gestion forestière, a pesée lourd dans cette évolution. Ainsi, dans les années 1970, les enrésinements massifs en plaine comme l’utilisation des produits phytocides constituaient le nec-plus-ultra en matière de sylviculture, et le forestier qui parlait de mélanges d’essences ou de structures, de préserver des bois morts ou des arbres à cavités était perçu comme incompétent, quand il n’était pas sanctionné comme tel.

Le point d’orgue de cette évolution fut atteint en 1993 avec la publication de l’instruction relative à la prise en compte de la diversité biologique dans l’aménagement et la gestion forestière. Pour la première fois, en effet, la perception « forêt-écosystème » passait au devant de la scène en faisant l’objet d’un texte majeur, ce qui n’était pas rien, même si le contenu de ce texte restait imparfait sur bien des points. Mais quelque part, le forestier incompétent des années 1970 se voyait réhabilité.

Hélas, ce positionnement a singulièrement manqué de volonté politique de la part des dirigeants de l’ONF pour l’ancrer en profondeur, dans les esprits comme dans les actes toujours imprégnés de cette culture « forêt-usine ». Petit à petit, et singulièrement après les tempêtes de 1999 qui ont entraîné la chute des recettes de l’Etablissement Public, la perception « forêt-usine » redevenait la seule qui vaille, au moins en interne. Et c’est ainsi qu’un double langage s’est imposé : en externe, on affichait un discours vert, présentant l’ONF comme le champion de la prise en compte de la « forêt-écosystème », alors qu’en interne, au contraire, il fallait produire toujours plus afin d’équilibrer les comptes.

Car c’est bien là que le bât blesse.

En effet, le mode actuel de financement de l’ONF, assis sur les recettes issues des ventes de bois, le soumet à une quasi-entière dépendance du marché et des cours du bois, donc des industriels de la filière. La moindre fluctuation à la baisse induit fatalement de lourdes menaces quant à son équilibre financier. Et, pour inverser la tendance, les seules variables d'ajustement sont bien évidemment l'augmentation inconsidérée des récoltes de produits ligneux et la compression des effectifs, comme c’est le cas depuis ces fameuses tempêtes de 1999.

De plus, le désengagement financier toujours plus important de l'Etat impose à l'ONF d'aller à la recherche de marchés juteux quitte à laisser la déontologie au vestiaire. Certes, on se préoccupe de biodiversité et de gestion durable, certes, on s'engage dans des actions fortes dans ces domaines, mais uniquement et seulement si celles-ci génèrent une répercussion positive sur le chiffre d'affaires. C’est là une forme de « marchandisation » de la biodiversité qui ne peut absolument pas nous convenir.

En conséquence, nos tutelles et ceux qui nous gouvernent devraient comprendre, s’ils veulent effectivement orienter la gestion forestière vers la « forêt-écosystème », donc vers la multifonctionnalité à tous les niveaux en visant le long terme, qu’il y a besoin pour cela d’un service public forestier national doté de moyens humains suffisants et d’un financement à la hauteur, libéré des contraintes du marché du bois.

Or, c’est tout le contraire qui se produit. Ainsi, le slogan issu du Grenelle de l’Environnement, « produire plus tout en préservant mieux », consacre le triomphe de la vision « forêt-usine », de même d’ailleurs que le discours prononcé à URMATT par le Président de la République, qui ne voit dans la forêt qu’une usine à bois dont il faudrait sans cesse améliorer le rendement et la productivité, ou que le contenu du projet de loi relatif à la modernisation de l’agriculture et de la pêche qui considère la forêt comme une simple marchandise devant répondre sur le court terme à la loi de l'offre et de la demande. Et que dire de l’évolution catastrophique actuelle de l’ONF vers quelque chose qui ressemble de plus en plus sûrement à une quelconque entreprise privée !

Pourtant, la CGT-Forêt s’est investi dans le Grenelle de l’Environnement, faisant force propositions, mais hélas, il fut vite évident que cette manifestation très médiatisée est complètement passée à côté de l’essentiel.

Citons maintenant trois faits marquants qui illustrent bien le double langage actuel de la direction de l’ONF, faisant croire dans sa communication vers l’extérieur qu’elle privilégie la « forêt-écosystème » alors qu’en interne, c’est la « forêt-usine » qui doit avoir la priorité.

L’Instruction de l’ONF de 1993 relative à la prise en compte de la diversité biologique a fait l’objet d’une révision en 2009. Malheureusement, la nouvelle Instruction se révèle extrêmement décevante et manque singulièrement d’ambition. C’est le cas par exemple en matière d’implantation d’îlots de sénescence, dont l’objectif se révèle même en recul par rapport à une note de service de 2005 relative aux directives régionales d’aménagement. C’est également le cas au niveau de la prise en compte du bois mort dans les peuplements forestiers : alors que la communauté scientifique s’accorde pour estimer que le bois mort au sol devrait représenter au moins 10 mètres-cubes par hectare, concentrés de préférence dans des gros bois et ventilés dans une gamme d’essences la plus variée possible, l’instruction ne fixe comme objectif que la conservation d’au moins un arbre mort ou sénescent par hectare de 35 cm de diamètre minimum… 

Autre exemple : en 2007, la Direction Générale lançait l’opération « Forêts Patrimoine » dont le but affiché est de constituer une vitrine avec une quinzaine de forêts domaniales emblématiques, telle celle de Fontainebleau, afin de mettre en exergue l’excellence de la gestion de l’ONF. Des fonds sont injectés à cette fin etdes mécènes sont même sollicités. Il s’agit là d’une démarche typiquement élitiste et qui ressemble davantage à une opération de publicité qu’à autre chose. En fait, toutes les forêts domaniales devraient bénéficier de ces mêmes bonnes intentions car chacune d’entre elles constitue en soi un patrimoine spécifique, en premier lieu pour les populations riveraines. Pourquoi alors mettre en avant certaines d’entre elles en inaugurant une gestion forestière à deux vitesses si ce n’est pas pour montrer en externe que l‘ONF est bien le champion de la prise en compte de la « forêt-écosystème » ?

De plus, associer le mécénat aux forêts domaniales est dangereux. Cela rappelle les dérives actuelles en matière de politique culturelle : parce que l’Etat se désengage de ses obligations liées à l’intérêt général en demandant aux musées d’assurer leur propre autofinancement, ceux-ci sont en train de marchandiser leurs oeuvres d’art. Quelques établissements emblématiques, tels Le Louvre, s’en sortent bien, mais la quasi-totalité des petits musées sont plongés dans une misère noire. Est-ce cela qui est programmé pour les forêts domaniales ? Or, l’art n’est pas une marchandise, mais les forêts non plus, car toute forêt est une oeuvre d’art que l’on se doit de conserver en bon état !

Dernier exemple : la qualité des exploitations. Un règlement national d’exploitation forestière, fort bien au demeurant, dans lequel se trouvedes clauses relatives à la protection des sols, des eaux et de la biodiversité, a été édité en 2008. Voilà pour l’affichage car force est de constater qu’au fil des années, s’est incrusté parmi les services un laxisme de plus en plus avéré. En effet, l’agent responsable d’une coupe, consciencieux et soucieux de l’avenir du peuplement, qui se montre déterminé à faire respecter les prescriptions contenues dans les textes, se voit le plus souvent vilipendé par les acheteurs les plus puissants qui exercent un véritable lobbying ayant pour objectif d’aboutir à un « assouplissement » maximum au niveau de l’application des clauses. Et du fait de ce lobbying, cet agent se retrouve isolé car trop peu soutenu par sa hiérarchie. C’est ainsi qu’il s’entend dire par celle-ci « qu’il est nécessaire d’identifier le meilleur compromis possible entre ce qui est utile et indispensable à une bonne gestion ». Et voilà comment, en interne, dans le domaine des exploitations comme dans beaucoup d’autres, et malgré le discours développé en externe, le souci financier en est venu à supplanter l’exigence sylvicole. De plus, la baisse des effectifs d’agents patrimoniaux et la métamorphose des « triages » en « secteurs » aggravent encore les choses car les missions de surveillance et de police ne peuvent manifestement plus être assurées comme il le faudrait, ce dont beaucoup d’acheteurs peu scrupuleux savent très bien profiter. Tout cela est intolérable et doit être dénoncé.

Alors, finalement, comment s’y prendre pour « protéger mieux » ? Tout simplement en commençant par mettre de côté la « forêt-usine » pour ne plus voir que la « forêt-écosystème », ce qui demandera très certainement un gros effort culturel. Puis en se persuadant qu’une telle approche ne peut se concevoir qu’en dehors des contraintes du marché, donc qu’il y a besoin, pour la faire vivre, d’un service public forestier national doté de moyens humains suffisants et d’un financement à la hauteur, libéré bien entendu des contraintes du marché du bois.

Bref, tout le contraire de la voie tracée ces dernières années par la Direction Générale de l’ONF, par le Grenelle de l’Environnement et par le discours d’URMATT…"

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