Quand la Fédération Nationale de la Libre Pensée (FNLP) communique cela fait
remonter de drôles d'odeurs bizarres.
Le 4 octobre, la FNLP explose la
position du Haut Conseil à l'Intégration qu'elle appelle dans son communiqué - probablement par méconnaissance - "Haut Comité". Elle l'explose donc non en raison du label : Haut Conseil machin-chose - comme si
l'intégration avait besoin d'une telle structure - mais parce que ce Conseil n'a pas l'heur de lui convenir quand il publie un avis, en date du 1erseptembre 2011, qui ne cadre pas avec sa conception très
étriquée de la Laïcité.
Pour nous, c'est clair : la FNLP s'embourbe en opposant les tenants des mondes musulman et chrétien.
En réalité, derrière une phraséologie assez obscure, aux relents ouvriéristes digne d'un Trostky après une gueule de bois, il s'agit de l'affaire de la crèche Baby-Loup à Chanteloup-les-Vignes,
Yvelines. La Fédération récuse toute possibilité d'une application de ce principe de Laïcité au sein du secteur privé. Au nom de quoi d'ailleurs ? Chercher donc... Bien que opposée très
légitimement au système d'exploitation de l'homme par l'homme, par une pirouette sans pareille nous la voyons prête à légitimer la liberté d'entreprise, s'appuyant au besoin sur une citation de
la revue Les Liaisons sociales. Etonnant, n'est-ce pas ?
En mai 2011, dans le journal de l'Association des Libres Penseurs des Yvelines, nous
écrivions déjà à propos du positionnement de la-dite fédération à l'égard de la crèche de Chanteloup :"Le monde bouge, évolue et régresse tout à la fois. Mais les auto-prétendus
héritiers légitimes du combat libre penseur ont arrêté définitivement leurs pendules à un instant "T". Peu importe si, dans le secteur privé, des hommes et des femmes se battent pour faire
admettre la laïcité au sein des entreprises. Municipalisons la crèche Baby Loup et hop ! Ce type d'affaire est réglé. Pourtant très majoritaire dans le pays, laissons ce monde du privé se
dépatouiller avec les problèmes d'influences religieuses qui ne sauraient concerner les camarades de la FLPY" (Paroles laïques n° 21).
Pour la FNLP c'est clair :
la Laïcité ne peut se défendre que dans le cadre du service public à travers le statut de la fonction publique. Hors de celle-ci point de
salut ! Ailleurs, c'est la jungle, la liberté du renard dans le poulailler. En guise de conclusion, elle garde un espoir : "Ensemble, tous ensemble, pour l’unité de la classe ouvrière et pour la défense de la
laïcité authentique". Pourtant
avec la Laïcité comme ligne de fracture comment peut-on parler d'unité ouvrière entre le public et le privé ?
Sommes-nous donc dans la guerre
de deux mondes, ces deux vieilles rivalités civilisatrices : musulmane et catho ? Ai-je raté un épisode du siècle des Lumières ?
Communiqué de la Fédération Nationale de la Libre Pensée
"Laïcité dans les entreprises privées : Avis d’un Haut
Comité
à la désintégration républicaine et à celle de l’unité de la classe
ouvrière
Auto-saisi par lui-même, et encore, le Haut Conseil à l’Intégration a émis, en date du 1erseptembre 2011, un avis, une recommandation, nous dirions un impératif pour amener le Législateur
à changer le Code du travail. Rien de moins que cela ! Il s’agit, en quelque sorte, d’un onanisme juridique.
Ne soyons pas dupes. Ni de la « volonté » de l’UMP, aidée aussi par la gauche dans le même domaine, de stigmatiser, encore
une fois, les musulmans, ni de la « qualité »des responsables du HCI
qui sont, et ce n’est pas un faux procès de le dire, plus proches du Likoud que de l’OLP.
Les atteintes à la laïcité, toujours les musulmans, jamais l’Église
catholique
Donnons quelques citations : « C'est dire si, dès
sa constitution et au long de son histoire, le HCI a toujours considéré la question de la laïcité comme intrinsèquement liée à celle de l'intégration des personnes d'origine étrangère et plus
globalement l'intégration de tous à la nation française ». Les catholiques romains ne sont pas source de problème, ils sont bien de
chez nous, c’est la France chrétienne de toujours... Ce sont les personnes d’origine étrangère qui posent
question.
Autre citation éclairante : Jean-Christophe Sciberras, président de l'Association Nationale des Directeurs des
Ressources Humaines (ANDRH), auditionné avec bienveillance par le HCI, souligne que « pendant longtemps, la question [de la
conciliation entre liberté d'entreprendre et liberté religieuse] ne s'est guère posée dans l'entreprise […] Le paysage a bien changé. La revendication religieuse se fait plus forte, en raison
notamment du recours à une main d'œuvre immigrée, originaire de pays non catholiques, à partir des années soixante ». Confirmation.
Quand l’onanisme juridique continue de plus
belle
L'avis du HCI doit être regardé comme un jalon planté à la suite du vote de la
résolution UMP à l'Assemblée nationale le 31 mai 2011. Il s'agit d'un document étonnant. D'abord, il énonce la théorie étrange des trois sphères : publique, privée, sociale. Cela n'a pas de
sens. Il y a deuxdomaines : l'univers des Services publics qui peuvent être quelquefois assurés par
des personnes de droit privé (caisses de Sécurité sociale par exemple) et celui de la sphère privée (individu, domicile, véhicules, associations, entreprises). Le premier est soumis à l'exigence
de neutralité découlant des articles 1er et 2 de la Loi de 1905 (voir CE, 2000, avis Delle Marteaux), le second est le domaine par excellence des libertés individuelles qui s'exercent dans les
limites fixées par la loi (il n'y a pas de liberté absolue) et dont la liberté de conscience constitue la clé de voûte depuis 1905.
Ensuite, il préconise d'insérer une disposition dans le Code du travail qui obligerait
les employeurs à inscrire une clause d'interdiction d'expression des appartenances religieuses dans les règlements intérieurs d'entreprises, tendant non seulement à garantir la sécurité au
travail ou les intérêts du commerçant, lorsqu'ils sont incompatibles avec le port d'un signe religieux, mais à préserver la paix au travail et le besoin présumé de neutralité de la majorité des
salariés.
Dans la réalité, les problèmes sont mineurs et, lorsqu'il y a des difficultés, le cadre juridique existant a toujours
permis aux tribunaux de trancher les litiges (légalité du licenciement d'un boucher musulman refusant de débiter de la viande de porc plus de
deux heures par jour [Cass. 1998] ; de celui d'une vendeuse d'un magasin de prêt-à-porter refusant de s'habiller avec les vêtements de la marque distribuée [CA Metz, 2009] ; de celui
d'une employée de confession musulmane refusant d'adopter la tenue conforme à l'image de marque de l'entreprise).
Le HCI énumère d'ailleurs de nombreuses décisions qui montrent que sa proposition ne
relève d'aucune nécessité. D'ailleurs, cette mesure aurait pour conséquence de remettre en cause le modus vivendi institué depuis les années 1970 dans les usines du secteur automobile, par
exemple.
Contre le Code du travail
Rappelons que le Code du travail est le produit concret de la lutte des classes, car il
est la codification des rapports de force entre la classe capitaliste et la classe des producteurs. Il est l’expression du rapport de force entre les classes sociales.
Selon « Liaisons
sociales »du 24 août 2011, dont on ne saurait craindre qu’elle roule pour le collectivisme : « Le Règlement intérieur d’une entreprise peut-il affirmer le principe de laïcité ? Non. Contrairement au secteur public, où les agents et
fonctionnaires sont tenus à une obligation de neutralité, dans le secteur privé, le
principe de laïciténe s’impose pas. En effet, le principe dans l’entreprise privée est celui de la liberté de convictions religieuses, qui englobe la liberté de manifester sa religion.
En conséquence, en l’absence d’une disposition législative venant restreindre une
telle liberté fondamentale, l’employeur ne peut ériger l’entreprise en lieu neutre ou laïque(Délib, Halde n° 2008-32 du 3
mars 2008). La Halde souligne qu’un employeur qui invoquerait le principe de laïcité pour limiter la liberté religieuse de ses salariés se rendrait coupable de discrimination (Délib. Halde n°
2011-67 du 28 mars 2011) ».
Derrière l’interdiction du Croissant, permettre toujours la
Croix
Voici la recommandation ultime du HCI : « Dans le droit fil
de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), et de l’article 371-1 du Code civil qui définit l’autorité parentale, le HCI propose d'affirmer clairement que l'enfant a droit à la
neutralité et à l’impartialité. Par voie de conséquence, les personnels des
établissements privés associatifs ou d'entreprises qui prennent en charge des enfants, sur un mode collectif, dans des crèches ou haltes-garderies ou, pour les enfants en situation de handicap,
dans des établissements spécialisés du secteur privé – hors les structures présentant un caractère propre d'inspiration confessionnelle– se doivent d'appliquer les règles de neutralité et d'impartialité ».
En clair, pour le HCI, la laïcité doit s’appliquer dans toutes les entreprises privées,
sauf dans l’enseignement privé à 90 % catholique ! Drôles de laïques en robe de bure ! Au
nom des droits de l'enfant à bénéficier d'une protection de sa « liberté de conscience en
formation », serait prohibée l'embauche d'une nourrice musulmane portant le voile dans une
crèche associative de quartier, mais autorisée l'enseignement de la morale catholique dans une école enfantine privée. La cohérence ne nous apparaît pas très bien: sans doute qu'un enfant de
trois ans a fini de se forger la liberté de conscience que son petit frère de deux ans est en train d'acquérir. Le HCI propose également d'interdire le port de signes religieux aux salariés,
voire aux bénévoles, des structures d'aide à la personne et de les contraindre à la neutralité.
L’apologie du communautarisme contre l’unité de la classe
ouvrière
Cela est le produit d’un racisme et d’une xénophobie latente. Il s’agit d’ériger le « musulman »comme un ennemi intrinsèque
de la République. Il est, par nature, un corps étranger. Cela rappelle – qui peut en douter ? – la théorie des « métèques et des juifs »d’entre les deux Guerres. Le « catholique »serait
« républicainement recyclable », jamais le « musulman ».
En faisant cela, le HCI apporte sa pauvre pierre à une offensive de destruction de la
nation républicaine, il vise à faire s’affronter des « communautés »aux appartenances
« religieuses »plus que discutables.
La loi contre le port de la burka dans la rue avait un objectif : diviser les
citoyens et exclure de la nation républicaine nos concitoyens d’origine arabo-musulmane. L’avis du HCI ne vise qu’à compléter le dispositif de guerre civile : opposer les travailleurs entre
eux.
Nous ne laisserons pas faire cette
ignominie
Nous attirons l’attention de toutes les Confédérations syndicales, plus particulièrement celles qui sont fidèles à la
Charte d’Amiens d’émancipation universelle du prolétariat, car il s’agit de l’unité de la classe ouvrière, sur cette forfaiture en préparation.
Le caractère laïque et les libertés individuelles et collectives du Code du travail doivent être
préservés.
Ensemble, tous ensemble, pour l’unité de la classe
ouvrière
et pour la défense de la laïcité
authentique !
Paris, le 4 octobre 2011"