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15 avril 2011 5 15 /04 /avril /2011 13:50

 

Les anciens et les modernes

 

En 1991, pour célébrer le dixième anniversaire de la floraison des « radios libres », France Culture avait organisé un débat en public. Invité à la tribune pour y représenter Radio-Libertaire, je côtoyais là Georges Fillioud, ancien ministre de la Communication, dix ans plus tôt, du premier gouvernement socialiste ; Annick Cojean, journaliste dans le « grand quotidien de référence », qui avait réussi l’exploit d’être la seule plumitive de France à n’avoir jamais cité le nom de Radio-Libertaire dans ses articles ; Antoine Lefébure, véritable et sympathique pionnier du radio-librisme. Et puis il y avait là, également, un certain Pierre Bellanger, qui avait été, au moment du grand boom sur la bande FM, le fondateur d’une station appelée La Voix du lézard, destinée à un jeune public et qui allait par la suite prendre le nom devenu célèbre de Skyrock.

Il n’avait pas fallu attendre dix années, bien sûr, pour constater avec amertume l’état lamentable de la bande FM « libérée », sur laquelle prospérait alors un certain nombre de requins dans l’onde que le gouvernement, dans son attribution des fréquences, avait largement favorisés, au détriment d’authentiques pionniers de la radiodiffusion ayant pourtant permis de faire exploser le monopole d’Etat en la matière.

P.Bellanger-Skyrock.jpgUne partie de mon intervention avait bien sûr consisté à dénoncer cette situation, à rappeler que la lutte pour la libération des ondes avait hélas permis à des profiteurs de venir jouer les coucous sur la bande FM et de s’intéresser davantage aux gros bénéfices escomptés plutôt qu’à la liberté d’expression. Avec l’arrogance du parvenu, la condescendance du haut du panier envers le bas de l’échelle, Pierre Bellanger fit alors montre de tout le mépris que lui inspiraient ces propos. Me regardant comme si j’eusse été un gueux tout droit sorti du XIXe siècle ayant un instant quitté sa barricade pour participer au débat, il joua à la perfection le rôle du jeune homme bien dans son époque et dans son fric, ouvert en diable à la modernité, c’est-à-dire à la loi du plus fort, à l’entreprise, à la concurrence, à la publicité, tout ça. Quand ce type de personnage prend la parole, il commence toujours par dire qu’il vous a bien écouté puis, se tournant vers l’auditoire, il fait alors comprendre qu’il est temps de parler « sérieusement ». Là, vient se ficher au coin des lèvres le petit sourire à peine perceptible, destiné à montrer combien l’intervenant précédent – « aux idées généreuses », certes – est demeuré coupablement naïf, déconnecté des réalités, d’un autre temps, jobard pitoyable. S’ensuivit le discours furieusement moderne où sens des affaires, partenariat financier, relations utiles et promesses de dividendes vinrent balayer sans scrupules mes propos surannés, comme « liberté de parole » ou « service public ».

Depuis le 12 avril, Pierre Bellanger dort dans son bureau. C’est à cette date qu’il a appris son limogeage du poste de directeur général de Skyrock par le conseil d’administration du holding de contrôle de la station. Dans les articles consacrés à cet événement, on trouve des expressions comme banque d’affaires, capital, actionnaires, holding, conseil d’administration, celles-là mêmes qu’il vous jetait à la gueule avec mépris et suffisance lorsque vous parliez de « liberté d’expression ».

Apologiste et profiteur d’un système qui abandonne chaque jour sur le pavé son lot de victimes, et auquel il ne trouvait rien à redire tant qu’il lui assurait ses 620 000 euros de salaire annuel, voilà Pierre Bellanger qui se conduit comme l’un de ces vulgaires passéistes poussiéreux qui occuperait son usine pour cause de licenciement abusif. La machine infernale qu’il bichonnait tant lui pète aujourd’hui à la gueule, et le voilà tout déconfit. Allons, Pierre, un peu de tenue ! T’étais le plus fort, tu l’es plus. C’est le jeu. Sois moderne, quoi, merde !

Ta radio ? Qu’elle crève !

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